ARCHIMÈDE

ARCHIMÈDE
ARCHIMÈDE

Lorsque, en 212 avant notre ère, les troupes de Marcellus entrèrent par surprise dans Syracuse, le siège de la ville durait depuis trois ans.

La supériorité technique de Syracuse en imposait, ce qui explique en partie la longueur du siège. Elle se concrétisait pour les Romains en un seul nom, celui de l’ingénieur prestigieux chargé depuis longtemps de la direction des travaux portuaires, navals et militaires: Archimède.

On comprend les consignes sévères du consul, qui tenait à l’avoir vivant et respecté. Le concours d’un tel homme eût été un secours précieux dans la lutte contre Hannibal toujours menaçant. Mais un gros nigaud de village, encore tout apeuré, termina d’un coup d’épée la vie d’un des plus grands mathématiciens de tous les temps.

Formation d’Archimède

Une phrase du traité de l’Arénaire induit à penser que le père d’Archimède s’était, comme lui, occupé d’astronomie. Sa formation scientifique a sans doute été entreprise dans sa famille et complétée par des voyages dont un ou plusieurs en Égypte sont plausibles et admis d’ailleurs par Diodore de Sicile.

On le dit ami, voire parent, du roi Hiéron. Cela est vraisemblable, Hiéron étant un tyran élu, et un soldat de fortune. C’est à ce jeune roi qu’il adresse son Arénaire , cette exposition romancée d’un système de numération des très grands nombres.

Archimède a essentiellement une formation d’ingénieur. Les mathématiques qu’exige cette formation sont à l’époque, il est vrai, assez rudimentaires. Elles orientent cependant vers une géométrie de la mesure, ce qui sera toujours son domaine de prédilection.

Le principe d’Archimède: démonstration et non expérience

La légende se plaît à représenter Archimède parcourant, dévêtu, les rues de Syracuse au cri de Eurêka! Eurêka! Il venait, dit-on, de trouver, à la requête de Hiéron, comment confondre un orfèvre indélicat. On peut remarquer, plus prosaïquement, que l’État battait monnaie, ce qui implique l’existence d’un service des fraudes sur les métaux précieux, service dont l’ingénieur en chef avait la responsabilité. Relisons le Traité des corps flottants. Il nous y raconte lui-même, en filigrane, toute l’histoire.

Il a vécu, dès son enfance, au bord de la mer. Il a joué sur la plage, il a plongé, il a nagé. Il a connu et assimilé l’expérience millénaire des peuples de la mer, le plongeur qui se leste d’une pierre pour atteindre les fonds, le liège qui remonte, le vaisseau qui s’enfonce lorsqu’on le charge.

Il traduit tout cela en termes mathématiques. «Nous posons en principe que la nature d’un fluide est telle que, ses parties étant uniformément disposées (de même niveau) et continues, celle qui est moins comprimée est déplacée par celle qui l’est davantage, et que chacune est comprimée, suivant la verticale, par le fluide placé au-dessus.»

Partant de là, Archimède établit par des «expériences de pensée», suivant une expression chère à la philosophie des sciences, que «les solides de même poids qu’un fluide, abandonnés dans ce fluide, s’immergent de manière à ne pas en dépasser la surface et ne descendent pas au fond; car toutes les parties du fluide (de même niveau) sont également pressées, le solide ayant le même poids que lui».

Il montre ensuite qu’un «solide moins pesant qu’un fluide dans lequel on l’abandonne ne sera pas immergé entièrement mais une partie sera à l’extérieur de la surface. Le volume de fluide égal à celui de la partie immergée aura le même poids que le solide.»

En surchargeant le flotteur jusqu’à ce que le fluide affleure à son bord supérieur, le lest restant à l’air libre, il établit que «les solides moins pesants qu’un fluide, qui y sont introduits, sont renvoyés vers le haut avec une force égale à celle du poids dont le volume du fluide, égal à celui du solide, excède le poids de ce dernier».

Enfin, «les corps plus lourds qu’un fluide sont allégés, dans ce fluide, du poids d’un volume de ce fluide égal au leur».

La mécanique au secours de la géométrie

Les lois du levier étaient connues des disciples d’Aristote, et la balance était depuis des temps immémoriaux un outil de précision. Mais Archimède déduit ces lois, très rigoureusement, d’un nombre réduit de postulats.

Si Archimède est inattaquable dans l’Équilibre des plans ou des centres de gravité des plans , c’est surtout grâce à son utilisation du barycentre ou centre de gravité. Pour lui, tout corps pesant a un barycentre bien défini, en lequel tout le poids du corps peut être considéré comme concentré. Il admet même ce postulat dans les dernières propositions du premier livre des corps flottants, où il considère cependant que les verticales concourent au centre de la Terre.

Une grande partie de sa carrière sera occupée à la détermination du centre de gravité des corps homogènes géométriquement définissables. Nous arrivons d’ailleurs ici à un tournant décisif. Nous ne connaissons encore que le mécanicien, l’ingénieur. Mais voilà qu’étudiant «la section du cône droit» – c’est ainsi qu’il appelait la parabole – il voit dans l’équation ay = x (b x ) (nous utilisons bien entendu l’écriture actuelle) une pesée: le segment y , placé à la distance a , équilibre le segment b x , à la distance x . La recherche de l’aire de la parabole équivaut donc à celle du barycentre du triangle, qu’il a déjà déterminée. C’est alors vraiment qu’il peut pousser son cri: «J’ai trouvé! » Ce lien entre la statique et la géométrie va le conduire à une foule de découvertes. Tout d’abord, il pèse – par la pensée – tout segment de parabole «qui vaut les quatre tiers du triangle de même base et de même hauteur».

De l’intuition à la preuve

Puis, sur sa lancée, il «pèse» la sphère et montre que «toute sphère est quadruple du cône ayant la base égale au grand cercle de la sphère et la hauteur égale au rayon de la sphère».

Il invente ses sphéroïdes – nos ellipsoïdes de révolution – et il les pèse, ainsi que leurs segments et les segments de sphère. Il invente ses conoïdes droits – nos paraboloïdes de révolution – et il les pèse, c’est-à-dire en donne le volume. Il invente encore ses conoïdes obtus – nos hyperboloïdes de révolution à deux nappes – et, encore une fois, il les pèse.

Mais, de plus, il détermine tous les centres de gravité de ces figures, du parallélogramme, du triangle, du trapèze, du segment de parabole, du cercle, du cylindre, du prisme, du cône, du segment de paraboloïde, de l’hémisphère, du segment de sphère, du segment de sphéroïde, du segment d’hyperboloïde.

Et «ayant ainsi examiné que toute sphère vaut quatre cônes ayant pour base son grand cercle et pour hauteur son rayon, il m’est venu l’idée que la surface de toute sphère vaut quatre grands cercles de la sphère. En effet, j’ai supposé que, de même que tout cercle est égal à un triangle ayant pour base la circonférence et pour hauteur le rayon, ainsi toute sphère est égale à un cône ayant pour base la surface de la sphère et pour hauteur le rayon.»

Cette dernière intuition, quelque batteur d’or égyptien l’avait eue mille ans plus tôt, puisque la surface d’un hémisphère se trouve dans le papyrus de Moscou. Mais il reste à passer de l’intuition à la preuve mathématique. Archimède en est très conscient.

Ce sera l’objet de son traité sur la quadrature de la parabole. Il y reprend d’abord sa pesée, mais en donnant une largeur aux filets rectilignes, dont il affirmait que «leur ensemble constituait le segment de parabole». Ce sont maintenant des trapèzes inscrits dans le segment, puis circonscrits. Mais il y a encore pesée, appel à la mécanique, à la théorie des barycentres, et l’on comprend que l’inventeur de cette théorie s’en fasse l’avocat en cherchant une nouvelle démonstration à qui personne ne puisse avoir rien à redire. Elle est fondée sur la sommation d’une progression géométrique de raison 1/4.

Pour la surface et le volume de la sphère, la démonstration rigoureuse et purement géométrique est encore plus éloignée de la méthode de découverte. Qui n’a pas lu la lettre à Ératosthène, véritable testament scientifique d’Archimède, ne peut trouver aucun lien entre le magnifique traité De la sphère et du cylindre et les écrits sur la mécanique. Personne en Occident, jusqu’au début de notre siècle, n’avait lu cette lettre, qui dormait dans un palimpseste de Jérusalem.

Archimède, surtout à cause du rôle qu’il voulait faire jouer à la surface des zones sphériques, devait créer de toutes pièces une technique nouvelle.

Il donne au départ la première définition correcte d’un domaine convexe: «J’appelle concave dans la même direction une ligne ou une surface telle qu’ayant pris deux points quelconques sur cette ligne ou cette surface les (segments de) droites qui joignent ces points tombent du même côté de cette ligne ou de cette surface.»

Il postule ensuite que «la ligne droite est la plus courte des lignes ayant les mêmes extrémités» et que, de deux lignes ou de deux surfaces convexes, l’enveloppante est plus grande que l’enveloppée. Enfin il énonce l’axiome d’Archimède, sur lequel il revient avec insistance dans plusieurs de ses écrits:

«Parmi les lignes, surfaces et solides inégaux, le plus grand excède le plus petit d’une grandeur telle qu’étant ajoutée à elle-même, elle peut dépasser toute grandeur donnée ayant un rapport avec l’une et l’autre des premières.»

C’est à partir de cet ensemble de définitions et d’axiomes qu’il établit, par une argumentation impeccable, ses quarante-sept propositions. Citons, parmi elles, les aires latérales du cône et du cylindre de révolution, l’aire de la zone, le volume du secteur sphérique, du segment sphérique, de la sphère.

Pour se conformer aux goûts du jour, Archimède pose ensuite sur la sphère des problèmes de caractère algébrique. Il donne ses propres solutions au livre II du traité De la sphère et du cylindre. Dans notre langage, ce livre se ramène à la discussion de l’équation générale du troisième degré. Très élégant, mais très elliptique, il demande beaucoup à son lecteur.

Dans le traité des conoïdes et sphéroïdes – nos quadriques de révolution – Archimède suivra de plus près sa méthode mécanique. Après avoir étudié les sections planes, les plans tangents et les cônes asymptotes, il décomposera les corps en strates parallèles de même épaisseur et il obtiendra des évaluations des volumes par excès et défaut en remplaçant chaque couche par un cylindre circonscrit ou inscrit. Il utilisera, pour conclure, le raisonnement appelé, depuis le XVIIe siècle, «par exhaustion», et qui remonte à Eudoxe. Apparaissent ainsi nos «sommes de Riemann» et nos intégrales définies.

C’est dans ce trésor que puiseront à pleines mains les mathématiciens occidentaux.

Archimède s’est diverti en proposant à ses émules d’Alexandrie des théorèmes qu’il savait faux. Il s’intéresse même à un puzzle qui porte son nom, et il propose aux Alexandrins l’étrange et beau problème des Bœufs du Soleil, problème d’analyse diophantienne dont les solutions sont de très grands nombres pratiquement inaccessibles.

Le transcendant existe-t-il?

Cependant, Archimède n’a pas abordé de front le problème du centre de gravité du demi-cercle. Si tout corps a un barycentre bien défini, une plaque demi-circulaire en a un. Nous savons – et Archimède aussi, mais il se garde bien de le dire – que ce point est sur l’axe de symétrie, à une distance de la base égale à (4/3 神) R. L’existence du barycentre implique donc celle du rapport 神, celle d’une longueur rectiligne égale à une circonférence donnée, celle d’un carré équivalent à un cercle donné, bref la possibilité de la quadrature du cercle.

Affirmer brutalement l’existence du barycentre d’un demi-cercle, c’est compromettre toute l’œuvre archimédienne.

Dans la lettre à Ératosthène, Archimède remplace la recherche de ce centre par celle du volume d’un onglet hémicylindrique. «Si l’on inscrit un cylindre dans un prisme droit à base carrée, un plan passant par le centre de la base inférieure et un côté de la base supérieure du prisme sépare du cylindre un segment qui est le sixième du prisme entier.» Puis, «si, dans un cube, on inscrit deux cylindres, leur partie commune est les deux tiers du cube».

«Ces théorèmes diffèrent de ceux trouvés précédemment, car nous avions comparé les volumes des conoïdes et des sphéroïdes et de leurs segments avec des cônes et des cylindres. Mais aucune de ces figures n’a été trouvée équivalente à un polyèdre, alors que chacune des nouvelles, bien que délimitée par des surfaces cylindriques, est équivalente à un polyèdre.»

Mais on peut aborder par bien des voies la quadrature du cercle. Dans le célèbre et court traité De la mesure du cercle , Archimède utilise le calcul et arrive à l’encadrement bien connu:

Cependant, une approche plus savante est constituée par le Traité des spirales.

«Lorsqu’une droite, dont une extrémité est fixe, tourne uniformément dans un plan et que, sur la droite en rotation, un point se meut uniformément, le point décrira une spirale dans le plan.»

Par une étude délicate, méticuleuse, mais admirable, Archimède montre que l’existence d’une tangente en tout point de la spirale équivaut à la quadrature du cercle. Il démontre toutes les propositions nécessaires tant pour établir l’existence que pour établir l’unicité de cette tangente. Mais, s’il achève le raisonnement explicite pour ce qui concerne l’unicité, il reste muet quant à l’existence.

Ainsi, ayant le premier énoncé clairement les axiomes des groupes archimédiens, il est encore, dans l’Antiquité grecque, le mathématicien qui s’approche le plus de la notion moderne du continu.

Il reste, en topologie et en théorie de la mesure, un modèle, et l’on comprend combien il eut raison de ne pas céder aux sollicitations de Hiéron, «qui ne cessait de l’engager à tourner son art des choses purement intellectuelles vers les objets sensibles, et de rendre ses raisonnements en quelque sorte accessibles aux sens et palpables au commun des hommes en les appliquant par l’expérience à des choses d’usage».

L’ingénieur en chef de Syracuse avait fait consciencieusement son métier. Il l’avait exercé avec amour, et, les temps difficiles étant venus, il le fit avec courage et efficacité. Il y avait trouvé sa raison d’être et puisé le fond même de ses pensées. Il avait amélioré de son mieux plusieurs techniques.

Il s’était cependant jeté à corps perdu dans les plus hautes spéculations. Combien a-t-il eu raison de ne pas suivre les conseils de son roi! Sa récompense suprême, il la trouve dans la joie d’avoir découvert dans les figures qu’il a étudiées «des propriétés inhérentes à leur nature, y existant de tout temps, et cependant ignorées de ceux qui m’ont précédé».

Archimède
(287 - 212 av. J.-C.) le plus célèbre savant de l'Antiquité. Il inventa le levier ("Donnez-moi un point d'appui et je soulèverai le monde"), la vis sans fin (vis d'Archimède), les roues dentées; grâce à ses machines, il tint trois ans en échec les Romains qui assiégeaient sa ville. Il détermina (dans son bain, dit-on, d'où il s'élança dans la rue en criant Eurêka!: "J'ai trouvé!") la poussée qu'un fluide environnant imprime à un solide (principe d'Archimède).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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